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Voyages entre les bureaux, le tableau et le coin.
13 juin 2009

Mme M., prof de français (seconde)

Je suis arrivée en classe de seconde avec une espèce de dégout du Français. Pour parler franchement, les pronoms, les subordonnées circonstancielles et l'accord de l'adjectif épithète, j'en avais ma claque. L'impression qu'on me rabachait les mêmes choses depuis le CE1... Autant dire que je n'ai pas été très enthousiaste aux premiers cours.

La prof était une femme à l'âge incertain, parce qu'elle semblait pouvoir aussi bien être en train d'élever un aîné de 8 ans maximum qu'un grand adolescent... En fait, ses cernes et son visage fatigué la vieillissaient, mais aussi la douceur de sa voix et la façon particulièrement calme et posée dont elle nous parlait.

Je pense que cette femme, en plus d'avoir un amour incroyable pour la littérature, est de ces personnes que l'on peut qualifier de généreuses et d'humainement incroyable. Elle savait y faire avec nous, ados de 15 un peu paumés, ne sachant plus trop si nous appartenions au monde des enfants du collège ou si nous laisserions la maturité du lycée nous envahir. On divaguait, on faisait ce qu'on pouvait pour se tenir bien, pour travailler un minimum, mais nous n'étions pas passionés par la langue française, et pour cause : cette classe avait été choisie pour une option toute particulière (voir l'article "TS5, classe poubelle") et était tournée scientifique.

Cela dit, nous étions pour la plupart habitués à suivre quand même ce qui se passait en classe, et nous avions majoritairement une bonne culture littéraire pour un élève en début d'année de seconde : rien d'extraordinaire, mais beaucoup dans la classe lisaient régulièrement, et aimaient ça. Cela dit, les cours de français avaient toujours eu tendance à m'ennuyer profondément, et c'était aussi le cas pour les autres...

Mais Mme M. s'accordait avec tout ça. Elle ne nous forçait pas, avançait sereinement avec nous et nous proposait des sujets plus ou moins interressants : je me souviens que nous avions tous en horreur le Père Goriot, mais beaucoup dans la classe ont adoré Balzac et la petite tailleuse chinoise (de Daï Sijie). Nous avions deux heures le mardi après-midi, juste après les deux heures de sport, qui nous laissaient généralement totalement épuisés (jamais un cours de sport ne m'a autant fatigué que cette année là...). Pendant ces deux heures, malgré ses encouragements et ses remontrances, nous n'arrivions, pour la majorité, qu'à écouter ses paroles, la tête écrasée sur le bras, le souffle lent, bercés par sa douce voix. Je me rappelle même, une fois, m'être littérallement endormie...

Ces cours du mardi après-midi étaient aussi l'occasion, quand nous avons pratiqué un sport moins fatigant, de faire autre chose : j'ai longtemps joué au kamoulox (à ceux qui ne connaissent pas... Inexplicable, je vous conseille d'aller jeter un oeil sur des vidéos youtube...) avec quelques amis, à mi-voix. Certains discutaient à batons rompus pendant des heures, au fond de la salle, sans que cela ne perturbe l'avancée du cours. Seuls quelques élèves particulièrement résistants et motivés ont réussi à noter l'ensemble de tous les cours, personnellement je crois que je me suis arrêtée en avril, pour dessiner tranquillement ou prendre ce qui m'interressait le plus...

Mme M. a eu une excellente idée, au début de l'année scolaire : faire un livre de la classe. Il s'agissait d'un projet, un recueil de nos textes, la plupart émanant de sujets de rédaction que nous aurions eu à faire pendant l'année, de préférence liés à une autre matière. Nous avons eu un sujet en rapport avec l'histoire ("Un étranger ou un esclave vient d'arriver à Athènes, dans l'Antiquité. Il écrit une lettre à sa famille pour lui raconter ce qu'il vit, les moeurs et habitudes des citoyens, sa vie quotidienne..."), un autre avec l'anglais ("Rendez hommage à une personne de votre famille, vivante ou disparue. Vous devez rédiger le même texte en anglais et en français"), en sciences ("Ecrivez une nouvelle mettant en scène une connaissance en science que vous avez acqueri pendant l'année"), en espagnol ("Ecrivez en français et en espagnol un poème à la manière de Pablo Neruda"), en maths ("Ecrivez un dialogue entre deux chiffres, ou un poème comportant des mots mathématiques")... A chaque fois, le devoir était corrigé par les deux profs, et si nous étions un peu réticents au début, nous avons tous fini par nous prêter au jeu.

A chaque fois, les meilleurs textes étaient promis à une publication dans le livre de la classe. Cette perspective nous rendaient fiers (et bah oui, la carotte...), et nous avons aussi ajouté d'autres devoirs, comme un sonnet que nous devions écrire (décrivant une oeuvre de la Renaissance), ou encore des textes et poèmes que nous avions écrits par nous-même... On a découvert des talents cachés (qui aurait pu deviner que celui là écrit aussi bien, que celle là est aussi sensible ?), et le livre a été illustré par les dessinatrices de la classe.

La mise en forme, le choix de textes... S'est fait en dehors des heures de cours. Mme M. restait une heure de plus au lycée le soir, avec quelques élèves, de temps en temps. Pour y être allée plusieurs fois, j'en garde un très bon souvenir : elle nous ramenait souvent quelque chose à manger et était habituellement accompagnée de son fils de 4 ou 5 ans, que l'une de nous occupait pendant que les autres "travaillaient".

Et puis la fin de l'année est arrivée, doucement, avec la quiétude et la joie du retour des beaux jours... L'année s'est conclue d'abord sur un DS repassant sur tout ce que nous avions fait pendant l'année, une de mes amies, C., s'en est tirée avec un 17 et un "travail très serieux tout au long de l'année" alors qu'elle avait passé 10 mois à parler, d'autres se sont davantage plantés... Mme M. notait au sentiment, au coeur, plus qu'à la technique pure et à la recherche de figures de style compliquées. Si un élève avait compris la sensibilité d'un texte et l'exprimait avec justesse et précision, il était valorisé. Oui, cette prof notait le français comme j'aurais voulu être notée les années précédentes (et l'année suivante...), avec l'amour de l'art et des textes, et non pas l'amour du respect de la grammaire.

Enfin, au tout dernier cours, nous avions réuni plusieurs autres professeurs pour lire certains des textes figurant dans le livre de la classe. Encore un très bon souvenir, ponctués de rires et d'aurevoirs...

Autant dire que l'année suivante, nous nous sommes pris une belle baffe avec une prof-livre-qui-parle. J'en parlerai plus tard. Mme M. était absente cette année là, mais il m'est arrivé de la recroiser dans les couloirs pendant l'année qui vient de passer (ça fait bizarre d'écrire ça...) et elle a toujours la même expression fatiguée, toujours le même sourire bienveillant, toujours les mêmes yeux doux et brillants. Et à l'entendre parler, elle travaille toujours pour l'amour des élèves et de l'art...

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Commentaires
J
@BBK : C'est déjà pas mal... J'aime aussi ce genre de personne. C'est important, après tout, de faire attention à ses interlocuteurs...<br /> <br /> @Ed : Parce que dans leur tête, ils auront le temps "plus tard". Je t'assure qu'ils y pensent... Mais, à cet âge là, on ne prend pas forcément l'initiative d'aller dire au revoir à un prof, principalement parce qu'on ne sait pas quoi lui dire.<br /> <br /> @Emy : Je ne me suis jamais amusée à faire lire à un de mes profs son portrait... Et je ne suis pas toujours "idéale". Merci quand même. Quant au français... C'est comme ça qu'on nous apprend la matière, au collège.
E
a chaque fois qu'on te lit, on se dit surtout, la chance qu'ils ont eu tes profs de t'avoir!<br /> j'arrive pas à croire qu'on puisse résumer le français à de la grammaire et de la conjugaison!<br /> en tout cas je comprends ton dégout avant elle...je pense bien fort à toi pour jeudi : tu vas tabasser ta maman j'en suis sure!<br /> :)
E
J'aimerais aussi qu'ils sentent que je m'intéresse à eux, et que par exemple ils ressentent le besoin de me dire au revoir à la fin de l'année...<br /> Mais apparemment, mon cours une fois consommé, ils se sont égaillés sans regarder en arrière.
B
C'est un prof dans le même style qui m'a fait aimé les sciences, une autre en économie, encore une autre en français. J'aime les gens qui font attention à ceux qu'ils ont en face et qui essaient de faire passer l'intérêt de leur matière aux élèves. C'est un peu le modèle que je prends lorsque je parle à mes élèves, mais pas avec autant de réussite.
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